Caviar, bonheur et esturgeons

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Un esturgeon de la Pisciculture de “Château de Castillonne”. ©Mathis Brachet.

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Un esturgeon de la Pisciculture de “Château de Castillonne”. ©Mathis Brachet.

Dans les Gorges de l’Hérault, entrelacé entre les montagnes du Verdus et ses ruisseaux, vit un petit village paisible. Il s’étend en contrebas du château du Géant ou aussi appelé « Du Verdun », désormais en ruine. Bienvenue à Saint-Guilhem-le-Désert, où dit-on, est produit un caviar d’« Exception ». Léo Carpentier, l’une des trois grandes âmes de la pisciculture de “Château de Castillonne”, nourrit le rêve singulier de produire un caviar sans tuer les esturgeons !

 

Plus belle la vie

 

À travers ses yeux et les nôtres, s’élance un spectacle unique en contrebas de la côte où s’est installé le trio. Les esturgeons frétillent. Les bassins devant nous abritent près de 500 spécimens noirs, luisants et semble-t-il, très amusés de notre présence près d’eux, en témoigne leur attroupement à notre approche. « On a une relation particulière avec nos poissons » me confie Léo. « Ils ont tous des noms. » Certains sont nommés pour leur trait physique particulier. « On a Dory qui a une nageoire manquante depuis sa naissance et Janet qui a le nez raboté comme la chanteuse », raconte cet ancien promoteur immobilier reconverti, tout en me les désignant du doigt. Et pour chaque production de caviar, le nom est inscrit au dos de la petite boîte métallique contenant les précieuses pépites noires. « En ce moment, ce sont les œufs de Georgia, par exemple. »

 

Ces passionnés chérissent leurs animaux. Si bien qu’au-delà de la norme bio imposant un maximum de 30kg de poisson par mètre cube d’eau, Léo et ses compères ont fait le choix de conserver une population équivalente à dix kilos seulement. Un travail qui n’en reste pas moins titanesque et contraignant : il faut pouvoir habiter sur place pour parer tout imprévu ou éventualité comme lors des orages. « On peut penser qu’il y a trop d’eau dans les bassins, mais c’est l’inverse, les tuyaux et les grilles se bouchent. Il faut qu’à deux heures du matin la personne en charge nettoie le système. Toujours être présent sur le site est capital ».

 

Un choix de vie qui en vaut la peine, car l’eau qui coule à Saint-Guilhem-le-Désert est pure et la température stable à 13° en moyenne toute l’année. Le Verdus offre ainsi aux esturgeons une qualité de vie optimale. « Il donne un caviar clair, très rond. Des subtilités intéressantes. » Un emplacement idéal tant pour l’élevage que pour les producteurs. « Les montagnes derrière nous font du lieu un bureau assez sympa » sourit Léo, fièrement, en regardant tout autour de lui les rayons du soleil descendre et s’éteindre lentement sur les hauteurs qui nous entourent.

 

Tout pour vos beaux œufs

 

« Des esturgeons heureux et qui vivent longtemps », voilà donc le credo de ces pisciculteurs. Si Léo prend soin de ses esturgeons, c’est aussi qu’il refuse la technique traditionnelle qui consiste à tuer l’animal pour récupérer ces œufs. A la place, il opère une césarienne, une technique mise au point par François René, ancien directeur de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Pris d’abord pour un fou par la communauté scientifique, il a transmis tout de même son savoir à son fils Frédéric qui l’améliora pendant deux ans pour obtenir près de 95 % de survie à l’opération dans cette même pisciculture. Léo Carpentier, lui aussi est formé à la pratique.

 

« L’esturgeon est un poisson qui hiberne en Sibérie. On va reproduire cette hibernation de façon artificielle grâce à un bain de glace dans notre laboratoire et le plonger en catalepsie, ce qui va nous permettre de l’opérer, le recoudre et le remettre dans l’eau. »

 

La technique de la césarienne ne change pas le goût du caviar en lui-même, assure Léo. En revanche, « elle joue indirectement sur la taille des œufs, puisqu’on a des esturgeons de plus en plus gros », expose Léo. Normalement, le poisson est tué aux alentours de ses dix ans. « Nous, on peut faire plusieurs fois du caviar, comme avec Frédérica qui a déjà été opérée trois fois et qui a 16 ans déjà. Ses œufs sont encore plus gros, ils font entre 3,2 et 3,4 mm », contre 2,6 mm en moyenne dans une production « classique ».

 

Si la méthode est révolutionnaire, elle est néanmoins compliquée à réaliser et demande du temps et de l’énergie, avoue Léo. Énormément. Tant, qu’il n’est pas possible de comparer la « petite » production de Château de Castillonne (environ une centaine de kilos par an tout au plus) avec un élevage à technique traditionnelle : entre 900 kg et 30 tonnes en moyenne. Ce qui en fait « un produit exclusif, une petite production. Elle est principalement réservée aux chefs étoilés, et cela, sur plusieurs années. »

 

Le goût de nos souvenirs

 

Ainsi, la production de la pisciculture de “Château de Castillonne”, est principalement réservée par les chefs de la région comme Gilles Goujon à l’Alternative, Pierre Gagnaire à l’Imperator ou Clément Briand-Seurat dans son nouveau restaurant à Montpellier, Cena et son dessert au nom évocateur de « Citron Caviar ». « D’autres chefs rendent visite à la pisciculture, parce qu’ils ne travaillent pas le caviar traditionnellement, mais ont décidé de l’utiliser parce que c’est local. »

 

« On ne vient pas de ce monde, alors on a pu s’affranchir de la vente traditionnelle. » Explique Léo, tout en contemplant des escaliers en surplomb les installations de la pisciculture. « Le caviar traditionnel provient d’un poisson tué en octobre et les œufs vendus en décembre. C’est un caviar jeune, un caviar primeur. » Assez croquant et avec une salaison importante, on l’appelle aussi le caviar d’instant, car il ne reste qu’un court temps en bouche. « À l’inverse, nous nous sommes tournés vers un autre genre de mets : le caviar d’affinage. Avec un affinage de six mois pour développer les saveurs, celles-ci peuvent durer en bouche jusqu’à quatre minutes » quand la plupart des produits durent entre 30 et 45 secondes. La texture est également plus crémeuse et donnera une plus grande longueur en bouche. Au goût, on peut ressentir une saveur Umami et de noisette.

 

La petite production n’est pas seulement convoitée par les chefs. « On a une dame qui vient tous les ans avec sa petite fille. Elles achètent une boîte de 100g qu’elles mangent ici même, au bord des bassins. C’est leur moment à elles, entre petite fille et grand-mère. Elles n’ont pas beaucoup d’argent, mais chaque année elles tiennent à venir. C’est un moment hors du temps. » Déguster du caviar, observer les esturgeons pleins de vie, profiter de Saint-Guilhem-le-Désert, boire du vin, rire, sourire, voir sa famille, voilà peut-être ce qui constitue une pièce du bonheur dans ce monde si savoureux.

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